« L’image des présidents de la République vue par les photographes », le docu réalisé par Ghislain Delaval est à voir sur LCP

Mazarine et son père, Cécilia et Richard, François et Valérie et Julie, Chirac diminué… nous connaissons tous ces images qui ont ponctué l’histoire récente de la Ve. Mais comment sont-elles nées ? Quel a été leur impact ? Le documentaire de Ghislain Delaval décrypte les oscillations entre l’information et la communication et les relations entre la presse et le politique.

Il y eut un temps où Twitter n’existait pas. Pour s’adresser aux Français, les hommes politiques n’avaient guère que les discours officiels, les interventions à la télévision et la presse papier. Dans un pays où l’écrit est l’art suprême, il est un hebdomadaire qui s’est fait la spécialité de photos pleine-pages pour parler info. C’est Paris-Match, bien sûr. Crée en 1938, mais prenant modèle sur Life Magazine en 1949, le magazine s’impose alors comme les pages où paraître afin de délivrer un message hors des sentiers conventionnels.

Information ? communication ? les deux, mon général !

Pour comprendre cette mécanique, Ghislain Delaval a interrogé ceux qui sont à l’origine de ces images. Les photographes bien sûr et les commanditaires qui, le plus souvent, les diffusent. Pendant près d’une heure, parole est donnée à Alain Genestar, ancien directeur de la rédaction de Paris-Match (1999 à 2006) ; Marc Brincourt, ancien rédacteur en chef photo du même titre, et Jean-Claude Coutausse et Sébastien Calvet; tous les deux photographes pour les titres essentiels lors des campagnes électorales : Libération, Le Monde, lesjours.fr et Mediapart. À eux quatre, ils couvrent plus de 50 ans de vie politique française.

Rendez-vous convenus

Les principaux clichés qui ont marqué nos mémoires sont passés en revue et recontextualisés avec les enjeux du moment. Pompidou souhaite faire oublier son passé de banquier chez Rothschild ? Il sera photographié entouré d’amis sur une plage de Bretagne (« Georges, pêcheur de crevettes »). Chirac, poursuivi par les affaires, passe alors pour un escroc ? Une double-page le montre reprenant des forces lors d’un long voyage dans l’exercice de son mandat. Sarkozy terminant son jogging quatre à quatre sur le perron de l’Élysée, le lendemain de son investiture ? Ce sera pour déclarer au monde son dynamisme et signifier que l’ère Chirac est bel est bien terminée.

Vraies-fausses paparazzades

Où finit l’information, où commence la communication. Où finit le politique, où commence le people. C’est la vraie trame du documentaire. Et Ghislain Delaval de poser les questions directement à nos interlocuteurs. Les réponses varient selon la photo, le type de prise de vue, le contexte de l’actualité. Quoi qu’il en soit, que ces reportages portent sur des événements familiaux ou professionnels, l’objectif est de (re)façonner l’image du sujet, souvent selon la période qui précède. Certaines réponses sont le plus souvent empreintes de la plus grande prudence, spécialement pour les sujets les plus sensibles. On peut aisément comprendre que Genestar admette volontiers avoir proposé directement au président Chirac, un reportage avec son petit-fils. Mais qu’en est-il des images de Cécilia Sarkozy et Richard Attias, qui feront la couverture d’un numéro de Match en août 2005 ? Rien ne semble fortuit dans ces images. Elles ne sont pas volées et le photographe est bien connu… S’il est clair que le couple s’est « mis en situation d’être photographié », la question reste entière : sommes-nous entrer dans l’actualité people (‘la femme d’un ministre entretient une relation avec un autre homme au cœur de l’été new-yorkais’). Ou sommes-nous restés dans l’actualité politique (‘à moins de deux ans de la présidentielle, la femme du ministre de l’intérieur (connue pour être toujours présente à ses côtés), futur candidat à la magistrature suprême, vit une histoire d’amour au grand-jour et le fait savoir’). « Les photos existaient, justifie l’ancien directeur de la rédaction, nous avons juste précédé la parution imminente dans le Sunday Time ». Ce qui lui coûtera sa place sous la pression dudit ministre et pourrait s’apparenter à une mise en garde à l’adresse des journalistes à la veille des élections. D’autres auront une origine plus mystérieuse.

Gros grains et grand flou

Donc toutes les images ne se valent pas. Il faut distinguer les images volées, appelées dans le jargon « paparazzades », et celles qui ne le sont pas mais qui en ont l’apparence (« fausses paparazzades »). Même traitement de prise de vue à la dérobée : gros grain et grand flou sauf que le RV photographe-sujet est convenu. Même si, comme l’ancien directeur de la rédaction le rappelle, ce traitement n’est pas courant dans les images politiques, l’une des plus marquantes est bien celle de Mazarine Pingeot et son père à la sortie d’un restaurant en novembre 1994. Est-ce une vraie, une fausse paparazzade ? Marc Brincourt l’affirme : « on ne sait pas ». L’image est publiée par l’hebdomadaire, en « fenêtre » sur la couverture qui montre un portrait serré de François Mitterrand marqué par la maladie. Au moment de la publication, nous sommes à six mois de la fin du double mandat du président. Les enjeux liés ses quatorze années de pouvoir diminuent. Sans doute faut-il préparer l’après… Mais sa portée, qui fait entrer Mazarine Pingeot dans la sphère publique, la classe parmi du côté des images politiques.

En revanche, 20 ans plus tard, il semble que l’image de François Hollande en scooter entrant dans un immeuble pour rejoindre Julie Gayet, soit véritablement volée. Fallait-il publier ? « Oui, il le fallait. L’info ne se savait pas », dit Jean-Claude Coutausse. Et Alain Genestar d’être du même avis : s’il était encore à la tête de Paris-Match, il l’aurait également publiée. Tous les deux la qualifient de « politique ». En effet, au moment où elle sort, le président Hollande doit annoncer une des mesures importantes de son quinquennat : le choc de simplification. Rien de mieux que l’immixtion de la vie privée à un instant précis pour brouiller le message politique. Plus prosaïquement, et grâce à cette couv’ et aux sept pages intérieures, Closer double ses ventes pour atteindre les 610 000 exemplaires. Selon Laurence Piau, patronne alors du magazine, le titre « entre dans le monde de l’information ».

Tuer au 1/125 sec

Bernard Plossu, grand parmi les grands, a dit que « la photo est sentimentale ». Même les photos dont nous parlons ici, le sont. Car, et la question est à peine abordée dans le film, le premier filtre reste l’œil du photographe. C’est lui qui fait ce premier choix de garder ou pas, de transmettre ou pas telle ou telle image. C’est l’editing du cœur pourrait-on dire, qui n’est pas uniquement dicté par les impératifs éditoriaux. À la question sur la part personnelle qu’il met dans ses photos, Jean-Claude Coutausse le révèle sans détours : « Dans mes photos, je vais raconter exactement ce que je pense du personnage : j’ai toujours trouvé Chirac comme plutôt sympathique, plutôt juste et mal entouré. Avec Chirac, il y avait toujours la possibilité de le tuer en 1/125 de seconde… mon journal était très friand de ces images un peu drôles où l’on ridiculisait le personnage. On peut même dire que j’étais payé pour ça ».

Si le documentaire s’ouvre sur la seconde victoire d’Emmanuel Macron au Trocadéro, il n’en sera plus question après. Même sa photo officielle, inchangée d’un quinquennat à l’autre, ne sera pas abordée. Elle est pourtant cryptique à souhait. Mais Macron est un homme d’une autre génération encore. Ses relations avec son image est encore bien différentes. Rendez-vous en 2025 pour une mise au point. .

L’image des Présidents vus par les photographes est disponible en replay jusqu’en février 2025

Documentaire de Ghislain Delaval et Aurelia Braud – Réalisé par Ghislain Delaval
2022, 55 minutes
Produit par Tony Comiti – Coproduction : Kalisté Productions / LCP-Assemblée nationale

A lire La ligne éditoriale, c’est l’intimité, une interview de Romain Lacroix, rédacteur chef adjoint photo de Paris Match par Anne-Laure Ollivier, Alexandre Borrell parue dans Parlement[s], Revue d’histoire politique 2019/2 (N° HS 14), pages 196 à 217. En libre accès sur le portail Cairn.

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