Aglaë Bory, Au loin nos paysages

En 2018, Aglaë Bory participe à Paysages français, une aventure photographique, une mission à la Datar, exposée à la Bibliothèque nationale de France. Je l’ai interrogé sur sa série Au Loin les paysages qui reflète son attachement aux horizons alsaciens, témoins de son enfance.

Votre travail Au loin nos paysages – quel magnifique titre ! – a été sélectionné pour Paysages français que l’on peut voir en ce moment à la BNF. Pouvez-vous nous dire quelle a été votre intention au départ de ce projet ?

Ces photos ont été prises dans ma région natale, en Alsace entre Colmar et Mulhouse. Cela faisait longtemps que je voulais travailler là-bas, mais ce n’est pas un projet autobiographique pour autant. En fait, il faut regarder la série dans sa globalité. C’est une série de paysages entrecoupés de portraits de jeunes gens, le plus souvent des jeunes filles. Vous verrez alors une ligne d’horizon qui se détache. Ce que j’ai voulu donner à voir, c’est le rapport émotionnel que l’on peut avoir avec les paysages qui nous entourent, les émotions qui sont enfouies dans les paysages.

Quelle a été votre démarche précisément ? Comment entreprendre de photographier des paysages de son enfance ?

Quand j’ai commencé ce projet, j’ai écrit une note d’intention à l’adresse du collectif auquel j’appartiens (France(s) Territoire liquide) mais elle était très intellectuelle. J’ai révisé mon intention en cours. Et notamment, quand j’ai compris que contrairement à ce qui se fait généralement avec les paysages, je devais plutôt photographier en vertical… En effet, je me suis rendu compte que cette verticalité faisait écho à la posture humaine. Ça m’a beaucoup éclairée.

Votre série est traversée par la présence de jeunes gens, spécialement des jeunes filles.

Je préfère photographier les jeunes filles ou les jeunes femmes que les garçons, car c’est un peu un prolongement de moi. J’aime spécialement les photographier à l’adolescence, car elles ont une injonction de représentation qui est plus visible. Je cherche à les faire sortir de la représentation qu’elles ont d’elles-mêmes. Toutes sont des jeunes filles qui sont de la région, elles appartiennent littéralement aux paysages que j’ai photographiés. J’ai voulu mettre en exergue une circulation des regards, entre les leurs et les nôtres. Et aussi créer un passage de relais entre elles et moi parce que j’ai quitté la région quand j’avais 18 ans. Ces jeunes filles ont 13-14 ans, l’âge où les regards sur les paysages changent, l’âge où elles prennent conscience du monde.

Dans votre série, il y a cette jeune femme aux cheveux longs et blonds qui se détache.

Quand j’ai vu Zoé, cette jeune femme blonde, j’ai tout de suite voulu la photographier. Elle sortait de nulle part et était accompagnée de son père. J’ai eu peur de ne pas pouvoir, car souvent les parents ne veulent pas. Là, le père a accepté tout de suite et Zoé a parfaitement compris ce que je voulais faire et quelle était ma démarche. Ce n’est pas vraiment un projet autobiographique, mais il y a un certain attachement, bien sûr. Paradoxalement, mon père qui n’est pas d’Alsace, mais où il a vécu et où je suis née, nous a transmis une détestation de la région… C’est une vraie ambivalence émotionnelle.

Dans vos mots, il y a comme une déclaration d’amour pour ceux que vous photographiez. Est-ce le cas ?

Il y a une transmission silencieuse que j’entreprends avec les gens que je photographie. Il s’agit pour moi de les faire exister en tant que personnes. C’est un acte très solennel. J’aime les photographier dans ce paysage, cette relation avec ce paysage. L’image fixe a une force infinie pour moi. C’est leur donner une force particulière, c’est les faire exister, c’est comme un hommage, une conversation silencieuse. Et quand les gens ne veulent pas, je suis très embêtée…

Que peut-on vous souhaiter ?

Une exposition en Alsace, peut-être.

Cette interview a été publiée initialement le 10 décembre 2017 sur Focus Numérique.

Le site de Aglaë Bory